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L'enquête

Comment la Pologne sortira-t-elle du charbon ?

10 min

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Le pays a annoncé la fermeture de ses mines d'ici 2049, misant sur les énergies renouvelables et le nucléaire pour remplacer son or noir.

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Ce fut un tournant historique pour la Pologne : en septembre 2020, le pays, premier producteur de charbon en Europe, annonçait l'abandon de cette industrie. La houille, rouage central de son économie et gage de son indépendance énergétique, pèse encore à hauteur de 70% de sa production d'électricité. Cette part devrait fondre drastiquement dans les trois décennies à venir, avec la fermeture progressive de toutes ses mines d'ici 2049 - soit un an avant la neutralité carbone* visée par l'UE. Une petite révolution pour Varsovie, seule capitale européenne à avoir refusé de s’engager sur cet objectif de neutralité, pilier de la lutte contre le changement climatique.
 

Une barrière psychologique

La Pologne aurait-elle pu aller plus vite ? « La date de 2049 peut paraître peu ambitieuse à certains, mais elle est le fruit d'un consensus trouvé au terme de longues et tumultueuses négociations entre le gouvernement et les syndicats, explique Lidia Wojtal, experte en politique énergétique au sein du think tank Agora Energiewende, basé à Berlin, et ancienne négociatrice climat pour la Pologne. Il faut prendre en compte qu'une barrière psychologique majeure a été levée : c'est la première fois en Pologne que la fin de l'exploitation du charbon est admise publiquement. » Dans les faits, il est possible que cette transition s'opère plus rapidement. D'abord parce que la Commission européenne pourrait demander à Varsovie de revoir sa copie, en cohérence avec ses objectifs climatiques. Mais aussi et surtout pour des motifs économiques : en Pologne, l'industrie du charbon est depuis des années déclinante.   

Déjà en souffrance, le secteur a été frappé par la pandémie de Covid-19, qui a entraîné un repli de la demande énergétique. Il est aussi concurrencé par le charbon moins cher, importé de Russie notamment, ou par les énergies renouvelables, qu’elles viennent de Pologne ou de pays voisins comme l’Allemagne. En 2019 et 2020, l'une des plus grandes entreprises de charbon d'Europe, la société publique PGG, a enregistré des pertes colossales, dépendant des largesses de l'Etat pour éviter la faillite. De moins en moins rentables, les mines auraient perdu près de 1 milliard d'euros en 2020, selon Lidia Wojtal. Quant aux centrales à charbon, elles s'avèrent elles aussi vieillissantes. « Ceci affecte le coût de l'énergie pour les industries et les consommateurs. La part du charbon décroît déjà en Pologne, lentement mais sûrement », souligne Aleksandra Gawlikowska-Fyk, du think tank énergétique polonais Forum Energii. Sans compter que le prix des quotas de CO2** a rapidement augmenté ces dernières années sur le marché du carbone européen, se répercutant sur cette industrie fortement émettrice.

 

Vers les énergies renouvelables et nucléaire

Alors, par quoi remplacer l'or noir polonais ? En septembre 2020, Varsovie annonçait un investissement de 33 milliards d'euros dans le nucléaire et les énergies renouvelables. Ces dernières sont particulièrement encouragées par la politique climatique européenne. « La Pologne doit faciliter leur développement, estime Aleksandra Gawlikowska-Fyk. Il y a eu depuis deux ans une croissance rapide du photovoltaïque. Mais les réglementations en vigueur entravent encore les investissements dans l'éolien terrestre. A moyen terme, le gouvernement polonais parie sur l'éolien off-shore. Le gaz sera sans doute aussi un combustible transitoire. » La Pologne produit déjà 16% de son électricité à partir d’énergies renouvelables (en 2019), dont plus de la moitié provient de l’éolien, et près d’un tiers, de la combustion de biomasse (bois, déchets). Cette dernière solution a été choisie par certaines villes pour remplacer leurs centrales de production de chaleur au charbon. Quant au nucléaire, la Pologne a prévu, pour l'heure, le lancement d'un premier réacteur en 2033, suivi de six réacteurs à partir de 2040 – l'avenir dira si ce calendrier est tenable.

À retenir

En 2019, la Pologne produisait 16% de son électricité à partir d’énergies renouvelables.

Toujours est-il qu'entre le déclin du charbon et la montée en puissance des autres énergies, un « trou » de près d'une décennie sème le doute sur la planification énergétique du pays. « Après 2025, le soutien public aux centrales à charbon obsolètes va cesser, les entreprises voudront donc les fermer. En une décennie, au moins 10 GW d'électricité vont disparaître. Ce scénario apparaît de plus en plus comme une menace sérieuse pour la stabilité du système énergétique polonais, il manque encore une stratégie cohérente pour y pallier », estime Lidia Wojtal, d'Agora Energiewende. Selon l'experte, il est peu probable que le gouvernement consente à poursuivre des importations de charbon controversées, au moment où les mines polonaises ferment les unes après les autres. 

Les investissements pour transformer le paysage énergétique polonais risquent-ils d'entraîner une hausse des coûts de l'énergie, dans ce pays parmi les plus pauvres d’Europe***? « Oui, les entreprises, et même le gouvernement, sont assez clairs sur ce point », répond Lidia Wojtal. Mais ces mesures permettraient en réalité d'éviter le pire, d'après Aleksandra Gawlikowska-Fyk : « à long terme, si l'on ne mène pas aujourd'hui cette transformation que l'on peut co-financer avec des fonds européens, les prix de l'énergie seront bien plus élevés que si elle provenait de sources renouvelables ». La commission européenne a promis, à travers son « fonds de transition juste », une enveloppe de 3,5 milliards d'euros pour aider la Pologne à assumer cette transition énergétique.

« En une décennie, au moins 10 GW d'électricité vont disparaître. Ce scénario apparaît de plus en plus comme une menace sérieuse pour la stabilité du système énergétique polonais »

Lidia Wojtal,, experte en politique énergétique au sein du think tank Agora Energiewende

Contacté, le Ministère du climat et de l'environnement polonais assure par ailleurs « mettre en œuvre diverses mesures pour protéger les consommateurs les plus vulnérables et réduire la précarité énergétique ». L'idée, notamment, est de reporter un temps la libéralisation des prix de l'électricité pour les particuliers, qui ont encore besoin, selon le ministère, de la protection des autorités de régulation de l'énergie. D'autres actions visant à rendre les consommateurs « plus actifs sur le marché de l'énergie », avec notamment des subventions pour installer des panneaux solaires, ont d’ores et déjà été lancées.   
 

L'enjeu des emplois... et de la pollution 

Au-delà des coûts de l'énergie, la sortie du charbon pose d'autres questions, tout aussi sensibles, sur l'emploi des mineurs. Même s'ils sont nettement moins nombreux qu'à la fin du XXe siècle, les « gueules noires » du charbon polonais sont encore plus de 80.000 – sans compter les emplois indirects en lien avec cette industrie, bien plus nombreux encore. Le bassin houiller de Silésie, dans le sud-ouest du pays, est particulièrement touché. Lors de l'accord sur la fermeture des mines en septembre 2020, le président régional du syndicat historique Solidarnosc, Dominik Kolorz, l'assurait : « Aucun employé des mines de charbon ne perdra son emploi. C'était l'élément le plus important de cet accord pour nous » (selon des propos rapportés par l'Agence France presse). Dans ces communes où le charbon a employé des générations de mineurs, la question n'est plus aujourd'hui de savoir s'il faut en sortir ou non, mais quelles seront les conditions de départ et les opportunités de reconversion pour ces travailleurs. « La transition énergétique permet aussi de développer de nouvelles industries qui demanderont de nouveaux personnels et de nouveaux spécialistes », souligne Aleksandra Gawlikowska-Fyk, du Forum energii.

En parallèle, la conscience des enjeux environnementaux a évolué en Pologne, qui a accueilli en 2018 la COP24 – non sans critiques sur ses ambitions climatiques. « Les résultats d'un récent sondage du Centre de recherche sur l'opinion publique indiquent que 74% de la population soutient la sortie des centrales au charbon. En Pologne, la conscience de la gravité de la crise climatique grandit, et le charbon apparaît comme une énergie d'une autre époque », assure Aleksandra Gawlikowska-Fyk.

« 74% de la population soutient la sortie des centrales au charbon »

Aleksandra Gawlikowska-Fyk, du think tank énergétique polonais Forum Energii.

Au-delà des émissions de CO2 massives, c'est la pollution atmosphérique qui inquiète le plus. 33 des 50 villes européennes les plus polluées se situent en Pologne, selon des chiffres de l'OMS de 2016. La même année, un rapport publié par quatre ONG, dont le WWF et Climate action network, estimait que la pollution de l'air due aux centrales à charbon européennes avait causé 22.900 décès prématurés en un an. A elles seules, les centrales polonaises étaient responsables de 5.800 décès, dont 80% d’entre eux avaient lieu dans les pays limitrophes.

Ces impacts sont d'ailleurs vus d'un mauvais œil par les voisins de la Pologne. En mai, la Cour de justice de l'UE a ordonné l'arrêt immédiat de l'exploitation d'une importante mine de lignite (un charbon de mauvaise qualité), située dans le sud-ouest du pays, à la frontière de la République tchèque. Prague avait saisi la justice européenne en dénonçant les dommages environnementaux causés sur son territoire, notamment en termes d'approvisionnement en eau potable. Pour l'heure, cette ordonnance est restée sans effet : Varsovie a affirmé vouloir maintenir sa mine ouverte, l’estimant indispensable pour l’économie locale et l’approvisionnement électrique du pays.     

 

* Neutralité carbone :  équilibre entre les émissions de CO2 d'origine humaine et son extraction de l'atmosphère.

** Quotas de CO2 : les installations qui émettent plus que le quota d’émissions de CO2 qui leur est alloué doivent en acheter sur un marché, tels des “droits à polluer”, et sont donc pénalisées financièrement. Celles qui réduisent leurs émissions peuvent revendre leurs quotas non utilisés sur ce marché. Lien ? https://www.ecologie.gouv.fr/marches-du-carbone 

*** Selon les chiffres de l’Insee de 2017, la Pologne arrive au 23e rang sur les 28 pays européens en terme de niveau de vie. https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797646?sommaire=4928952