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Captage du CO2 dans l’air : mirage ou révolution ?

10 min

Description

Bien que plus complexe et plus coûteux que le captage-stockage du COdes fumées industrielles, le captage direct du CO2 dans l’air suscite beaucoup d’espoir pour atteindre la neutralité carbone.

Components

Inauguré récemment en Islande, le projet Orca fait parler de lui. Assemblage d’immenses caissons truffés de ventilateurs, ce site industriel atypique est présenté par son concepteur, le Suisse Climeworks (allié à l’islandais Carbfix), comme la plus grande usine au monde de « captage direct dans l’air » (DAC). Le principe consiste à aspirer l’air, à en filtrer le CO2 à l’aide d’un sorbant, puis à le chauffer pour l’en séparer, avant d’être injecté quasi pur à 1000 mètres de profondeur dans le basalte où il se transformera lui-même en roche. L’énergie est fournie par une usine géothermale toute proche. Objectif : retirer de l’air 4000 tonnes de CO2 par an.
 

Capter les fumées industrielles

Face au réchauffement climatique, les procédés de captage et stockage du CO2 (CCS) suscitent beaucoup d’espoirs. Mais ces techniques ont d’abord été développées pour capter le CO2 des fumées industrielles et c’est cette fonction qui semble aujourd’hui la plus prometteuse, du moins à court terme. « En Amérique du Nord, on s’est mis à travailler sur le CCS pour lutter contre la pollution des centrales à charbon, puis celle des cimenteries, des raffineries ou de la pétrochimie. Il s’agissait de récupérer le CO2 émis à la sortie des cheminées », explique le géologue Michel Malo, qui a dirigé un programme de recherche sur les CCS à la fin des années 2000 à l’Université du Québec. « Il y a eu un engouement mondial puis l’intérêt est retombé. Les projets étaient si coûteux qu’ils n’étaient pas viables sans financements publics importants et ceux-ci ont souvent fait défaut. Mais la prise de conscience actuelle sur le climat ravive la motivation des industriels et des Etats. » Il cite l’usine Quest, sur un site de traitement de sables bitumineux opéré par Shell en Alberta, qui récupère 1 million de tonnes de CO2 par an. Coût du projet : 1,3 milliard de dollars, dont 865 millions de subventions du gouvernement canadien !

Seuls 40 millions de tonnes par an de CO2 sont aujourd’hui captées et stockées dans le monde.

Des montants pharaoniques pour une quantité de CO2 faible au regard des objectifs. Comme le souligne la physicienne Florence Delprat-Jannaud, coordinatrice CO2 à IFP Energies nouvelles, « seuls 40 millions de tonnes par an de CO2 sont aujourd’hui captées et stockées dans le monde. Or, dans son dernier rapport, l’Agence Internationale de l’Energie estime qu’il faudra en capter 4 gigatonnes en 2035 _ soit 100 fois plus en 15 ans _ et 7,6 gigatonnes en 2050 ». Un véritable défi car si certaines technologies sont matures, la chaîne commerciale, elle, ne l’est pas encore. Les différents procédés de captage (post combustion, oxycombustion…), coûtent encore très cher (près de 65% du coût total du process) et sur la soixantaine de projets actuels (voir carte), un bon nombre est encore en phase pilote ou en construction. Seuls 26 sont opérationnels (en Amérique du Nord, en mer du Nord, en Chine et en Australie). 

« Le rôle du CCS est de réduire, en complément des autres leviers, les émissions de CO2 des centrales thermiques et celles de l’industrie », affirme Florence Delprat-Jannaud. Ce qui implique la multiplication à marche forcée du nombre de ces projets. Dès lors, le captage atmosphérique du CO2 est-il crédible ? « Il y a quelques années, je ne me serais sans doute pas intéressée à cette solution, reconnaît-elle. Mais aujourd’hui, elle apparaît dans les scénarios de transition vers la neutralité carbone. Et nous nous y intéressons de près car nous devons faire jouer tous les leviers. Celui-ci peut contribuer à compenser les émissions de l’agriculture et du transport aérien, car miser sur le captage par les forêts et les sols ne suffira pas ». 

Néanmoins, le traitement des fumées industrielles reste la priorité : « Les deux technologies ne jouent pas dans la même cour : on parle de 4.000 tonnes captées pour Orca, contre 1 million sur un site industriel. Moins le CO2 est concentré, plus il est difficile de le séparer. Or, sa concentration est de l’ordre de 10% dans les fumées, contre 0,04% dans l’air. Le captage dans l’air demande donc beaucoup plus d’énergie, et coûte bien plus cher. » Or, le montant des investissements constitue le frein essentiel, même pour le « nettoyage » des fumées : selon les types de fumées et de stockage, le coût total de la chaîne varie entre 50 et 180 euros la tonne, estime la physicienne. Avec un prix du CO2 autour de 60 euros la tonne, les projets peuvent difficilement se passer de financements publics.

À retenir

Selon les types de fumées et de stockage, le coût total de la chaîne de traitement varie entre 50 et 180 euros la tonne.

Un projet rentable ?

Pour espérer devenir un jour rentable, le captage dans l’air doit en outre disposer d’une énergie renouvelable bon marché, d’un vaste espace compte tenu de son emprise au sol et d’un réservoir de stockage à proximité (le coût du transport du CO2 en pipeline avoisinant le million de dollars par km, selon Michel Malo). « Le DAC ne deviendra pas un marché structuré avant 2040 », estime Florence Delprat-Jannaud. Non sans ajouter aussitôt que, sur l’objectif de 7,6 Gt de CO2 captés en 2050, l’AIE estime que 2,4 Gt devront venir du DAC. Ce montant considérable signifie que désormais, cette technique est non seulement prise au sérieux mais aussi jugée incontournable pour viser la neutralité carbone. De fait, alors que le CCS des fumées industrielles ne consiste qu’à limiter les émissions de CO2 d’origine fossile, le DAC va beaucoup plus loin en retirant carrément du CO2 de l’air et en le piégeant de façon permanente dans des puits de carbone. Un mécanisme d’« émissions négatives » 100% vertueux, mais qui ne transformera en une industrie viable qu’à condition d’augmenter massivement ses performances dans les années à venir, ce qui implique des innovations de rupture. 

On recense actuellement une quinzaine de projets opérés par trois entreprises : Climeworks, Global Thermostat (Etats-Unis) et Carbon Engineering (Canada) qui prévoit de mettre en service d’ici quatre ans un site au Texas et un autre en Ecosse. Ces acteurs pourraient vite monter en puissance grâce à des financements d’entreprises soucieuses de se décarboner. Climeworks compte déjà parmi ses clients plusieurs milliers de particuliers mais aussi quelques clients de poids comme Microsoft et l’assureur Swiss Re, qui misent sur cette technologie pour atteindre leur objectifs nets zéro. Washington pourrait de son côté investir massivement dans la R&D. 
 

Inquiétudes sur le stockage

Reste la question de l’acceptation sociétale. Le stockage est considéré comme très sûr : il peut être injecté soit dans des gisements d’hydrocarbures épuisés (à l’étanchéité éprouvée), soit dans des « aquifères salins profonds » (à plus de 800 mètres, profondeur à laquelle le CO2 se liquéfie et prend moins de place). Il faudra donc détecter et évaluer ces aquifères, très abondants sur la planète. « Les compagnies pétrolières ont les compétences nécessaires pour le stockage du CO2, maîtrisent les méthodologies et disposent des capacités industrielles pour le mettre en oeuvre », affirme avec force la responsable d’IFPEN, qui a conclu dès 2009 un partenariat stratégique avec Total. Les pétroliers maîtrisent d’ailleurs depuis longtemps les techniques d’injection de CO2 pour récupérer le pétrole résiduel dans les gisements moins productifs. 

« Les compagnies sont très volontaristes en matière de CCS, souligne Michel Malo. Mais c’est aussi la raison pour laquelle des ONG comme Greenpeace, qui veulent rompre entièrement avec les combustibles fossiles, y sont hostiles. » Plus généralement, l’usage du sous-sol suscite de nombreuses réticences dans l’opinion. « Surtout en Europe », reconnaît Florence Jannaud-Delprat. Raison pour laquelle elle estime que le stockage du CO2 va d’abord se développer offshore. Le lancement l’an dernier du méga projet norvégien en mer du Nord, Northern Lights, mené par les trois énergéticiens Shell, Total et Equinor, en est une illustration éloquente.