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bouteille en plastique échoué au bord de l'eau
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Des espèces invasives se servent de déchets marins pour se déplacer

5 min

Description

Elles utilisent les débris plastiques comme des « radeaux » et colonisent des parties de l’océan où on ne les avait jamais vues avant.

Components

En 2011, 5 millions de tonnes de débris se sont retrouvés dans la mer, à la suite du tsunami qui a provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima. Un an plus tard, certains de ces objets flottants ont commencé à s'échouer sur la côte ouest américaine, après plus de 7 000 km de pérégrinations à travers l'océan Pacifique. Pendant les six années qui suivirent, des chercheurs du Smithsonian environmental research center ont compté les espèces qui avaient embarqué sur ces radeaux de fortune. Résultats : au moins 289 espèces originaires des côtes japonaises - coquillages, crustacés, anémones, poissons, micro-organismes... - avaient traversé l'océan, selon leur étude publiée en 2017 dans la revue Science. C'était la première fois qu'une dispersion d'espèces marines d'une telle ampleur était observée.

Le chiffre clé

289 

C’est le nombre d’espèces originaires du Japon qui ont été retrouvées sur la côte ouest américaine.

Objets Flottants Non Identifiés

« Le transport d'espèces sur des radeaux flottants, comme des troncs d'arbres ou des noix de coco, existe depuis toujours, précise Ika Paul-Pont, chercheuse en biologie marine au Laboratoire des sciences de l'environnement marin, à Brest, dans le nord-ouest de la France. Ce qui change, c'est qu'à l'inverse de ces supports naturels qui se dégradent assez vite, les plastiques sont très résistants et permettent donc de transporter des espèces sur de longues échelles de temps et d'espace. » Selon la chercheuse, quelque 5 000 milliards de débris plastiques flotteraient à la surface des océans, principalement sous forme de microplastiques (moins de 5 mm). « Du fait de leur omniprésence, ils ont un énorme pouvoir de dispersion », poursuit-elle. En 2015, une autre étude avait recensé 387 espèces d’invertébrés, d’algues ou de micro-organismes voyageant sur des déchets flottants sur tous les océans du globe, du Pacifique à l'Atlantique et de l'Arctique à l'Antarctique.

« Les plastiques sont très résistants et permettent de transporter des espèces sur de longues échelles de temps et d'espace. »

Ika Paul-Pont, chercheuse en biologie marine

En facilitant la traversée des océans, qui servaient historiquement de “barrières” quasi infranchissables pour la faune et la flore, ce phénomène pourrait « intensifier les invasions d'espèces », avertit l'article de Science de 2017. Il est difficile pour une espèce exotique, débarquant dans un nouveau milieu, de réussir à survivre, puis à se multiplier, et à supplanter la faune ou la flore locales. Néanmoins, certaines y parviennent, et ces invasives représentent aujourd'hui un fléau grandissant pour la biodiversité marine. Pour migrer, elles profitent aussi des navires sillonnant le globe, et notamment des eaux de ballast dont ils s'emplissent dans un port et se déchargent dans un autre. A la différence de ce moyen de locomotion, soulignent les chercheurs dans Science, les débris plastiques voyagent lentement, laissant à leurs passagers le temps de s'acclimater. Et ils s'échouent durablement, sur des kilomètres de côtes : les adultes ont donc tout le temps pour se reproduire à leur arrivée, dans des milieux très variés. En 2018, d'autres scientifiques ont passé au crible les déchets échoués sur les plages de la baie de Biscaye, au nord de l'Espagne. Ils y ont découvert une faune variée, parmi laquelle des espèces invasives comme l'huître creuse du Pacifique.

À retenir

Les débris plastiques voyagent lentement et laissent ainsi à leurs passagers le temps de s'acclimater aux nouveaux milieux.

Plastisphère

Autre sujet de préoccupation, les débris plastiques sont susceptibles de transporter des micro-organismes toxiques ou pathogènes. A la surface de ces « embarcations », c'est toute une communauté de bactéries, de virus ou de micro-algues qui prospère. Cette nouvelle niche écologique a été baptisée « plastisphère ». « Le plastique attire les micro-organismes, qui créent un bio-film à sa surface, une substance dans laquelle ils se multiplient, explique Leïla Meistertzheim, chercheuse et présidente de la société Plastic@Sea. Non seulement il y a beaucoup plus de micro-organismes sur le plastique que dans l'eau environnante, mais en plus, leur activité y est bien supérieure. » Parmi ces colonies dominent des espèces au demeurant rares dans le milieu marin. « On trouve énormément de cyanobactéries, dont certaines sont des espèces toxiques ; et d'autres influencent les cycles bio-géo-chimiques en libérant par exemple de l'oxygène. La profusion de ces espèces pourrait modifier certains équilibres océaniques », poursuit Leïla Meistertzheim. 

Autre faune peuplant la plastisphère : des bactéries capables de dévorer les hydrocarbures ou d'autres substances chimiques concentrées sur les plastiques, ces derniers agissant comme des éponges à polluants. Mais aussi, des agents potentiellement pathogènes. La bactérie du choléra a par exemple été détectée en Méditerranée. Selon une étude publiée en février 2021, des vibrio (un genre composé de diverses bactéries, dont certaines sont pathogènes) ont été « trouvées en grande quantité dans les communautés de la plastisphère ». Celles-ci erraient jusqu'au milieu de l'Atlantique Nord, alors qu'elles préfèrent habituellement les estuaires. Par ailleurs, des bactéries ayant acquis une résistance aux antibiotiques ont été retrouvées sur des plastiques dans des concentrations 100 à 5 000 fois supérieures que dans l'eau de mer environnante. Même si ces recherches émergentes sont toujours en cours, les chercheurs de cette même étude concluent qu'il y a « de plus en plus de preuves suggérant que les microplastiques représentent un réservoir potentiel de pathogènes ».

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