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L'interview

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L’entraide et la coopération résoudront-elles la crise climatique ?

4 min

Description

Le dérèglement climatique est un défi collectif. Pour Rajiv Joshi, co-auteur du rapport « The Decisive Decade : Organizing Climate Action », nous ne pourrons sortir de cette crise que si toutes les entités – individuelles, commerciales, étatiques – apportent leur pierre à l’édifice en œuvrant de concert.

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Pouvez-vous me raconter la genèse de ce rapport ? Pourquoi vous semblait-il si nécessaire à ce moment précis de notre histoire ?

Rajiv Joshi : Le lendemain de la signature des Accords de Paris de 2015, leur principale architecte, Christiana Figueres, a créé Mission 2020, un programme conçu pour assister la communauté internationale dans sa marche vers la prochaine étape majeure de la lutte contre le réchauffement climatique. L’élément central et final de cette mission (et de son héritage) : la création d’un cadre pour guider l’action pour le climat au fil de la décennie à venir. Cette décennie a été surnommée « décennie décisive », et pour cause : les productions scientifiques sont sans appel – les années qui nous séparent de 2030 détermineront en grande partie notre capacité à relever les défis que nous devons relever d’ici 2050. Ce rapport nous apporte des pistes pour mieux travailler ensemble, pour collaborer afin de mettre en place les changements systémiques nécessaires.

Nous avons réalisé que les alliés du changement climatique se trouvaient parfois dans des domaines inattendus, et qu’il était important de jeter des ponts entre nombre d’entre eux dans l’écosystème du changement climatique – comme il était nécessaire d’élaborer de nouvelles stratégies pour harmoniser leurs approches distinctes et néanmoins complémentaires. En un mot, il faut réunir toutes les générations, tous les secteurs, toutes les cultures, et jouer un rôle de catalyseur. Nous avons commencé à réunir des éducateurs, des militants, des investisseurs, des chefs d’entreprise et d’autres groupes clés pour résoudre des problèmes qu’ils ne peuvent surmonter seuls.
Pour mettre en marche ce processus, il faut commencer par comprendre que nous sommes tous des acteurs de ce système, et que tout acteur a un rôle à jouer. Ce n’est que lorsque nous prenons conscience du rôle des uns et des autres – et de notre propre rôle – que nous pouvons commencer à établir des stratégies afin de mettre en valeur les exemples positifs, puis d’orchestrer le changement, avant de rendre ce changement opérationnel. Pour mettre en valeur ces exemples, il faut effectuer un travail de sensibilisation et fournir des preuves scientifiques de cette problématique ; pour rendre le changement opérationnel, il faut développer et mettre en œuvre des solutions.
 

Vous faites référence aux sept rôles clés que vous détaillez dans le rapport ౼ les « Sept Décisifs », ou « 7D » * ? Pouvez-vous me donner un exemple de l’utilité pratique de ces définitions ?

R.J. : Les gens se cantonnent souvent à leur rôle sans réaliser que ce rôle apporte une contribution à un écosystème ou à un objectif commun – qui est de mettre fin à la crise climatique. Les acteurs doivent prendre conscience de leur rôle ; ils doivent apprendre à identifier leur propre rôle au sein des 7D. Ces identités dépendent des sensibilités de chacun ; chaque personne doit évaluer quelle approche correspond le plus à sa théorie du changement. On ne peut pas fourrer un acteur dans une ou plusieurs catégories à la va-vite ; cela doit se faire naturellement, afin de favoriser la collaboration. Lorsqu’on souhaite favoriser un changement profond et systémique, il est en outre important de créer un espace sûr et rassurant, de favoriser une compréhension mutuelle entre les différents rôles. On assiste alors à la création d’un cycle vertueux, où les rôles se renforcent eux-mêmes et créent de nouvelles possibilités, de nouveaux moyens de relever certains des plus grands défis mondiaux.
 

Pouvez-vous me donner un exemple concret de ce type de cercle vertueux ?

R.J. : En juin de l'année dernière, moins de 2% des habitants du Sud étaient vaccinés et les négociations sur le climat en Écosse étaient sur le point d’échouer parce que la moitié du monde ne pouvait s'y rendre en personne. Mais il s’est passé quelque chose ౼ des gens se sont organisés pour orchestrer, mettre en valeur une nouvelle approche et rendre cette dernière opérationnelle. Des « Agitateurs » (personnes impliquées dans la sensibilisation à la pandémie) ont commencé à convaincre des organisations environnementales de soutenir les campagnes de vaccination. Soudain, les personnes qui sensibilisaient le public à la pandémie et celles qui sensibilisaient le public à la crise climatique ont uni leurs forces pour créer un récit commun : elles ont tiré parti de la tenue du sommet sur le climat pour faire expédier des ressources et des doses de vaccins dans d'autres régions du monde. Des « Donateurs » ont financé des groupes environnementaux pour qu’ils vaccinent. Des leaders politiques ont pris leurs responsabilités et se sont exprimés. Des « Tisseurs » ont travaillé dans l'ombre pour établir une communication saine entre les différents groupes d'intérêt, qui communiquaient alors dans leur coin sans chercher à coordonner leurs efforts.

On a observé une relation de renforcement mutuel entre ces différents rôles ౼ un espace a été créé pour coordonner diverses coalitions, pour populariser les groupes environnementaux afin de tirer parti de leur pouvoir collectif, et pour parvenir à un résultat positif. Nous n'aurions peut-être pas eu de COP si le mouvement pour le climat n'avait pas pesé de tout son poids dans la lutte contre la pandémie.
 

Qu'espérez-vous qu'il se produise au lendemain de cette étude ?

R.J. : Pour l’heure, j’essaie déjà de la mettre en pratique ; j’ai l’impression qu’il existe des millions de rapports et qu’ils ne sont presque jamais mis en œuvre. Je considère mon rapport comme un cadre ; il s’agit maintenant d’appliquer ce cadre pour résoudre différents problèmes et soutenir le changement systémique. Je communique avec des groupes de philanthropes pour les aider à utiliser le rapport « Décennie Décisive » ; pour qu’ils en fassent un cadre permettant d’élaborer des propositions pouvant faire l’objet d’investissements. Pour les aider à réfléchir à la manière dont ils peuvent mettre leur capital au service de ces différents groupes ; les aider à créer des projets et des initiatives capables de surmonter une partie des problèmes auxquels nous faisons face.
 

Cette idée de collaboration a un côté très positif ; êtes-vous optimiste quant à l'avenir de l'action pour le climat ?

R.J. : Je crois que la crise climatique va provoquer un changement de paradigme à l’échelle mondiale ; nous allons troquer le paradigme « compétition et consommation » pour celui de la « coopération pour la conservation » ౼ ce qui s’avérera finalement bon pour l'humanité, pour notre planète. Nous avons maintenant conscience des limites du modèle prônant une croissance illimitée, une croissance sans aucun contrôle. Je pense que nous devons nous montrer réalistes quant aux coûts du maintien d'un système très extractif ౼ c'est-à-dire qui prend plus qu’il ne donne. Nous pourrions le remplacer par un système fait de concurrence et de coopération (les entreprises et les groupes pourraient collaborer dans bien des domaines) ; par un système qui profiterait à tout le monde et nous ferait avancer toujours plus vite vers un avenir meilleur.

Le changement découlera de ce processus ; un processus qui nous oblige à bouleverser notre façon d'être et notre rapport au monde des affaires. Les entreprises peuvent très bien tenter de retarder l’inévitable, mais celles et ceux qui refusent la coopération finiront par échouer : la prochaine génération de talents refusera de travailler pour des institutions purement extractives.

 

*Agitateurs, Analystes, Meneurs de jeu, Tisseurs, Charpentiers, Pionniers et Secouristes.